mercredi 7 mars 2007

Na zdorovie, Alex!


Voilà presque un mois que j'étais arrivé à Melbourne, et je n'avais toujours pas volé.

Je suis donc allé, un soir, après le boulot, à l'aéroport de Moorabin, au sud-est de Melbourne et dédié à l'aviation générale. Cinq pistes en dur. Deux compagnies aériennes qui tournent sur Beechcrafts. Une bonne douzaine de "flying schools", dont trois ou quatre dédiées aux hélicoptères. Des twins partout: A peu près tout ce qui se fait en Piper, du Beech 90, 200, 1900, quelques Baron 58, deux ou trois Partenavia, et j'ai aussi croisé un Cessna 337. Bref, le truc a de la gueule. On est vendredi, il est tard. Parfait. Je n'arrivais pas à me décider, et voilà mon critère qui se construit tout seul.

Je ne suis pas un vieux pilote, mais il y a quelque chose que j'ai appris dans l'aviation. Ta compétence, tu la construis avec de la théorie, avec des heures de vol, mais aussi un peu - beaucoup selon certains- de culture aéronautique. Ce que je veux dire, c'est que tu peux enrichir un peu ton expérience à partir de ce que ceux qui ont volé plus que toi t'apprennent. Quand quelqu'un te montre comment il a choisi un déroutement, analysé la météo, ou même t'explique le partage des tâches dans un cockpit d'avion de ligne, tu progresses. Parce qu'un jour, peut-être, tu t'en resserviras. Et puis ça entretient la motivation, ça donne envie. Je sais, moi, que je dois autant ma licence à mes instructeurs qu'aux gens qui, hors d'un avion, loin des salles de briefing, m'ont raconté leurs vols de pilotes privés, leurs méthodes, parfois leur métier, et m'ont appris ce que je sais. Qu'ils en soient ici remerciés. Je sais ce que je leur dois.

Enfin, vous l'aurez compris, ce que je cherche, ce soir, c'est une structure avec une culture 'club', et pas seulement une école où les gens entrent, volent, paient leurs heures et repartent. Allons donc voir s'il y a un endroit où il y a encore de la lumière, un vendredi soir à 20h 30.

Je marche dans la rue. Les fenêtres des bâtiments s'éteignent les unes après les autres, comme autant de lucioles fatiguées. Il y en a une qui reste pourtant, après les autres: celle du Royal Victorian Aéroclub. Je frappe à la porte vitrée, et c'est un grand mec blond, les cheveux courts, en chemise blanche à galons, qui m'invite à rentrer. Un instructeur.

Il me tend la main, se présente, se rassoie devant la télévision avec une assiette de pâtes, et m'écoute pendant que je lui expose mon cas. Grand sourire. "No worries, mate! By the way, I'm going to fly tonight. Maybe I can find a seat for you". Well, un vol de nuit, ça ne se refuse pas. OK, j'attendrai le temps qu'il faudra. Tant pis pour le repas de ce soir, ça sera un MacDo en rentrant. Mais le voilà qui ressort de la cuisine, et qui partage son plat de pâtes en deux. Il me tend la deuxième assiette. Je ne sais pas trop quoi dire, alors je dis quatre fois merci, mais je me sens un peu gêné quand même: J'ai vu ce type pour la première fois il y a dix minutes, et il m'emmène voler, et me donne la moitié de son dîner.

Une demi-heure plus tard, il me propose de suivre le briefing qu'il va faire à Andrew, son élève de ce soir. Interception de trajectoire à l'ADF, puis mania sur l'océan en vol local.

On ressort sur le tarmac, où sont garés les avions du club. Je n'ai pas compté, mais il y en a au moins une bonne vingtaine. Des PA28 pour la plupart, quelques 152, 172, quelques bimoteurs aussi, deux biplaces que je ne connais pas, et un Cirrus SR20. On grimpe dans un PA28 Arrow, train rentrant, pas variable. Gâté, le garçon. J'aurais pu tomber plus mal.

Le vol en lui-même est magnifique. L'avion s'arrache de la piste, et la baie de Melbourne apparait devant nos yeux, juste au moment où la masse noire de l'océan commence à contraster avec la côte noyée de lumières. Je dois être le seul à regarder dehors. Vario positif, train sur rentré. Surveille ton badin, Andrew. L'avion s'incline à droite, en montée. C'est Andrew qui va chercher sa radiale.

Quelques virages se suivent, comme ça, au dessus des lumières. On ne voit pas beaucoup d'étoiles, mais le halo de la lune perce les nuages, et fait scintiller la houle de l'océan. Les reflets sont magnifiques.

On arrive au dessus de Philip Island. Là, le jeu se corse, parce qu'on passe au dessus de l'eau, et que le sol devient aussi sombre que le ciel. Je regarde dehors, et je me demande si la désorientation spatiale apparait aussi vite que ce qu'on le dit. Cette petite lumière qui brille, en bas, sur un bateau, est-ce que je pourrais à la confondre avec une étoile?

A la demande de l'instructeur, Andrew se met en vol lent, puis entame quelques virages à 10 degrés d'inclinaison. Une minute plus tard, il pousse sur le manche, remet de la puissance, et quand la vitesse à assez augmenté, continue par une série de virages à grande inclinaison. Puis, l'instructeur reprend les commandes, lui demande de fermer les yeux, et plusieurs fois, met l'avion dans des configurations impossibles, qu'Andrew doit récupérer. Virages engagés, approches du second régime, tout y passe...

Un peu plus tard, on s'est reposés piste 17 à Moorabin Airport, au milieu des lueurs de la ville. On a amarré l'avion sur le parking, et on est rentrés boire un café. Puis Andrew est rentré chez lui.

Moi, je suis resté pour discuter un peu avec l'instructeur.

C'est comme ça que j'ai appris qu'il s'appelait Alex, qu'il était russe, né à Saint-Pétersbourg, et qu'il travaillait à Melbourne depuis 6 ans. Alex était pilote de chasse en Russie. Il a volé sur Yak 52, et a passé son brevet sur L39 Albatros. Sorti de l'école de chasse en 96, il a passé ses qualifications sur Mig 29 puis une fois ses tests validés, le déclin économique russe aidant, il ne volait plus. L'armée russe continuait à former de nouveaux pilotes, pour alimenter les statistiques, mais ne permettait pas aux brevetés de maintenir leurs compétences. Glasnost, Perestroïka, tu parles! Il a donc démissionné, et, ce statut lui causant quelques ennuis dans son pays d'origine, il est venu en Australie, où il fait de l'instruction. Maintenant, de nationalité australienne, il voudrait bien trouver une petite place dans l'armée de l'air de son pays adoptif, "pour pouvoir de nouveau piloter des jets". En attendant, il se fait plaisir sur avions légers, et sortait d'une séance de voltige sur warbird la dernière fois que je l'ai vu.

Et bien, vous savez quoi? Ce soir là, je n'aurais pas échangé mon demi-plat de pâtes contre un magret de canard au poivre.

See you,

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