jeudi 15 mars 2007

Tours de Piste


Jeudi 8 mars. 18 heures. Moorabin Airport. J'ai rendez-vous avec Molly, jeune instructrice du Royal Victorian Aeroclub. J'ai booké un 152, histoire de ne pas me sentir trop dépaysé pour ce premier vol, avant de passer à quelque chose de plus conséquent. Je vous passe les détails sur le briefing, on a surtout parlé de la phraséo et des spécificités des procédures australiennes. Il n'y avait même pas de navigation à préparer, puisqu'avant les tours de piste, on est simplement allés faire le tour de la City - le centre ville de Melbourne – et que dès que tu passes 200 pieds en montée initiale, tu as une vue imprenable sur les gratte-ciels de la ville. Pour le retour, il suffit de suivre l'ADF vers le terrain. L'aller-retour se fait en moins de vingt cinq minutes.

L'avion ne me surprend pas. Un 152 comme un autre. Des sièges qui ne se reculent pas assez, des portes qui ne ferment plus, un robinet d'essence qui a dû être récupéré sur un vieux frigo, et une manette des gaz tout droit extraite d'un flipper, mais ça vole et ce n'est pas trop cher.

Les communications à l'australienne par contre sont un peu plus déroutantes, tant elles semblent froides. Officiellement, pas de bonjour, pas de petits mots gentils, pas de "Bons appétit!" et autres civilités du genre. C'est dommage, moi je trouvais que ça avait du charme, et que ça créait un contact un peu plus humain entre deux personnes qui, selon toute probabilité, ne se rencontreront que derrière deux postes VHF. Mais non. Ici, le premier contact, tel que décrit dans les bouquins et enseigné par les écoles, est du genre (pour un avion se rendant à Moorabin) "Moorabin, KKW, Cessna 152, Carrum, 1500, Atis L, Inbound". Et paf. Pas un mot de plus (1500, c'est pour 1500ft QNH). Le pire, c'est que tout le monde l'applique.

Moi, le moment venu, j'ai quand même rajouté un rapide G'day! juste après KKW... Le contrôleur a répondu. Tant pis pour les bouquins.

Bon, on roule, je fais ça piano, et je me surprends à faire un briefing avant décollage dans un anglais assez correct. Je récite le traditionnel "Any questions?" plus pour l'avoir entendu ailleurs que par habitude. Molly répond simplement "In case of a real emergency, I will fly the airplane, and you'll handle the radio and checks". D'accord, Molly. N'empêche que sur le moment, je me sentirais plus à l'aise pour poser le Cessna moi-même dans le golf qui prolonge l'axe de la 17 que pour expliquer à un contrôleur australien qu'on perd des tours moteur en montée initiale...

Elle me demande un décollage sans volets. La piste fait 1300m, donc j'ai de la marge. D'accord. La rotation à 55kt. On fait notre joyeux petit tour, où je m'émerveille du fait qu'ici, tu as le droit de faire le tour du centre ville d'un bled de presque 4 millions d'habitants en VFR à 1000 pieds sol (même si d'ordinaire les gens restent à 1500ft puisque c'est l'altitude correspondant à la procédure de retour vers Moorabin).

Enfin, ce soir, le soleil commence à disparaître à l'horizon, on va bientôt passer en VFR de nuit, et l'ATC nous passe un hélico qui transite vers l'hosto à 1000 pieds sous nos ailes, alors on reste gentiment à 2000 pieds Novembre Hôtel, ce qui suffit largement pour admirer les gratte-ciel, qui commencent à s'allumer.

On repasse verticale Albert Park - où aura lieu le Grand Prix de F1 dans quinze jours- et on rentre au terrain pour des tours de piste. En parlant de piste, la voilà qui s'allume. On vient de passer en Vol de nuit. Je pense au pilote Fabien, de Saint-Ex. Avant de partir, j'avais prévenu Molly que je n'étais absolument pas qualifié VFR-N, et que je n'avais même pas la moindre minute de nuit loguée dans mon carnet de vol, même en double...

Ca n'a pas eu l'air de l'affoler et elle m'a dit qu'on verrait bien sur place. Maintenant que j'y suis, j'essaie de me souvenir des conseils des bons copains: des plans un peu plus forts, viser derrière les balises vertes, décollage et remises de gaz aux instruments uniquement jusqu'à 500 pieds, etc...

Il n'y a pas de vent. Rien. Alors j'annonce une vitesse en finale de 55 nœuds. Comme d'habitude. C'est là qu'intervient la grosse surprise du vol. Parce que Molly me regarde, et elle me dit de garder 70 nœuds. Je tourne la tête, incrédule:

"-Seventy knots? With a 152?
-Yeah.
-Without any flaps, then?
-No. Full flaps."

Bon, je n'étais pas vraiment pour, et je croyais à une blague au début, mais elle a vraiment insisté, alors j'ai pris 70 nœuds en lui demandant l'autorisation de ralentir en courte. Mes arrondis n'étaient pas trop moches –elle en a été contente d'ailleurs- mais en arrivant aussi vite, l'avion, même à ailes hautes, prend évidemment un peu d'effet de sol, et le flottement m'a laissé un goût amer.

70 nœuds en finale pour un 152, sans vent et pleins volets... Je connais un de mes instructeurs qui rigolerait drôlement en roulant sa clope, si je lui racontais. "Souviens-toi, qu'il m'a dit un jour, les femmes dans l'aviation, seulement après le coucher du soleil..."

Au sol, j'y pensais encore, alors j'ai insisté un peu plus, mais pas de piège, pas de malentendu, pas de prise de casque défectueuse. C'est la procédure du club. Quand tu as de quoi voir venir question bitume, le 152, c'est 70 nœuds en finale, sans vent. Point à la ligne.

Je sais que Molly, jeune CPL, est en train de bosser son ATPL. Alors, histoire de voir ce qu'elle va en dire, je lui ressors la fameuse formule de 1,3*VS0. Elle me dit que oui, la formule est juste, mais la procédure du club, c'est 70 nœuds quand il y a assez de piste. Et tant pis pour le manuel de vol. Je n'en ai pas rajouté.

1,3 de VS0 + ½ Kve (vitesse du vent de face) + la totalité des rafales... Vieille histoire... Cette formule, c'est mon premier instructeur (pas celui de toute à l'heure) qui me l'a apprise. Il s'appelait Claude Tournier, et il avait fini sa carrière quelques années plus tôt chez Air Littoral, sur Fokker 100, si je me souviens bien. Il bossait encore un peu pour l'ESMA, je crois. Un paquet de milliers d'heures de vol. Instructeur bénévole "pour rendre ce qu'on lui a donné", comme il me l'a dit la première fois que je l'ai rencontré.

C'est lui aussi qui, au bout de quelques heures d'instruction, quand j'avais l'impression que je commençais à ne pas trop mal poser le HR200, et que je lui ai demandé quel était exactement le niveau pour obtenir le brevet de base, a repris les commandes en vent arrière et a coupé les gaz. Je ne savais pas encore ce qu'était une PTU, mais je me souviens bien des roues qui ont touché doucement la piste au seuil, parfaitement au milieu du peigne, après une fin de circuit et une finale comme je n'en avais jamais encore vu. On a remis les gaz pour un autre tour de piste, et il m'a dit "Voilà, j'attends que tu sois capable de faire ça" ou quelque chose comme ça. Ca m'a calmé, et je me suis remis à travailler mes approches. C'était le temps des briefings/débriefings d'une heure, et des désormais célèbres "Du pied à droite! Plus que ça!" et autres "La bille, Bordel!".

Enfin, bon, il était assez sévère, mais c'est aujourd'hui que je m'aperçois que ce sont les choses qui ont été le plus dur à rentrer qui restent. Les petits trucs de conversion et de calcul mental, les raccourcis pour les sinus et cosinus, les circuits visuels pour les Do-lists qui m'ont encore sauvé la mise quand l'instructrice australienne m'a appris en montant dans l'avion qu'il n'y avait pas de check-lists écrites ici, des trucs comme ca...

Je me souviens que le premier jour où je suis arrivé, ça a été une des premières choses qu'il m'avait dites. "On va être assez rigoureux, parce que vous êtes jeune, et peut-être qu'un jour, vous voudrez en faire votre métier." Sur le coup, ça m'avait fait sourire. Je n'y connaissais rien. Bosser dans l'aéronautique, ça oui, certainement et volontiers, mais pilote, avec la claque que j'avais prise à l'ENAC l'année passée, je voyais ça loin, loin, loin.... Et maintenant, en petit PPL, je me dis que, Monsieur Tournier, encore une fois, c'est vous qui aviez raison...

Et ça, Monsieur Tournier, ça me calme.

Je continue à travailler mes approches,

See you,

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