jeudi 25 octobre 2007

Tubular Ballarat




Comme d'habitude, c'est mon pote Eduardo, mexicain de souche, qui est de permanence au bureau du club:

-Which one do you fly today?
-I don't know yet. I've given a call here yesterday to book it, but they didn't tell me the registration. Can you check that for me?
-No worries, mate. Leave me a minute.

Il tourne les grandes pages du cahier de réservation, et je le vois grimacer:

-I'm sorry, it's RXW. We have some problems with the bookings these times, 'cause a guy has left for Sydney with the keys of JIO, and we had to switch a lot of pilots on the others Warriors. Let me see. Maybe I can give you BZE. They're going to fly it in a few minutes, but perhaps the instructor will be ok to switch with you, as you go for a cross-country flight?

- 'Could be nice, thanks a lot.

Un bruit d'hélice par la fenêtre. On regarde tous les deux. C'est BZE qui commence à rouler. Et merde.

-That's fine, don't worry about that, I'll find a way.

-She'll be right, mate.

She'll be right, tu parles! RXW est la machine la plus vieille du club. Un cauchemar d'avionique! Pas de GPS, et une seule radio (la deuxième est cassée) à affichage mécanique. Plus que suffisant dans le bush australien, mais vu les espaces aériens Melbourniens et leurs procédures, quand tu as deux radios, tu en utilise deux, quand tu en a trois, tu en utilise trois, et si tu en avais cinq, elles seraient toutes sur on.

Je décide d'y aller quand même. La météo est nickel, alors qu'elle a été pourrie depuis un mois et demi, et puis les autres y arrivent bien, nom de nom!

Moorabbin c'est très simple. Si tu pars vers le sud, tu es tranquille: "Training Area", espaces non contrôlés en dessous de 5000ft, etc... Par contre, si tu pars vers le nord...

On part. Vers le Nord. J'ai préparé une liste des fréquences, et dans le bon ordre, parce qu'avec une seule radio mécanique, sans possibilité de préparer les fréquences à l'avance, ça va être sport.

Moorabbin ATIS: 120.90

Un bouton à tourner pour passer sur le sol.
Moorabbin Ground: 119.90

On est prêts au point d'arrêt.
Moorabbin Tower: 123.00

Moorabbin est un espace GAAP. Ca veut dire qu'à six nautiques du terrain, il faudra passer sur la fréquence de Melbourne Radar. Je n'aurai pas de clairance pour ça. En GAAP, tu quittes la fréquence sans prévenir personne. J'arrive à 6 nautiques, à 6 nautiques et demi, il faudra que je m'annonce sur la route publiée "Melbourne Coastal".

Melbourne Radar: 135.70
Je suis resté soigneusement à droite de Brighton, un des points d'entrée GAAP de Moorabbin. Bien m'en a pris: en montée vers 2000 pieds un 172 passe dans mes 9 heures, 1/2 nautique, même altitude. Normalement, je devrai écouter la Tour d'Essendon et celle d'Avalon pour avoir une idée des trafics au départ aussi. Aujourd'hui, je ne peux pas. Alors j'ouvre grands mes yeux.

Je suis censé naviguer à 2500 pieds, au ras du plancher de la zone de Melbourne, pour éviter les trafics sens opposé à 1500ft. Les nuages m'obligent à rester à 2000ft.

Je m'applique: A gauche, à partir de 1500 pieds c'est la zone C d'Avalon, à droite celle d'Essendon, à 1500 pieds elle-aussi. Je ne peux passer sur aucune des deux, ni même les prévenir: je n'ai qu'une seule radio, et tant que je transite "Coastal", il faut que je reste sur Melbourne Radar.

Le passage entre les deux zones est un tube invisible, large de moins d'un nautique, dont il ne faut pas que je sorte. Je pense à un ami, en France, qui tient des couloirs de 400m de large pour les sélections du Tour Aérien des Jeunes Pilotes. Chapeau bas, Monsieur, parce que moi, avec le bordel d'aujourd'hui, c'est tout juste si je suis sûr de mon demi-nautique.

Je passe travers le CBD melbournien, le ciel se dégage, et j'entame une montée vers 2500ft. J'ai le doigt sur l'alternat pour prévenir Melbourne Radar de ma montée, mais le contrôleur parle avant moi:

"All stations, Melbourne Radar, unknown VFR traffic in the area, no clairance available for all VFR traffics tracking north, I say again, no clairance will be issued in the Melbourne CTR for all traffics tracking north"

Ca, dans ma situation, c'est comme une injection d'adrénaline en intraveineuse. Ca te monte tout de suite au coeur, deuxième effet Kiss Cool genre glace pilée. T'as une partie du cerveau qui crépite façon pop-corn: "Est-ce que c'est moi?". Coup d'œil à droite: Melbourne city. Coup d'œil à gauche: Saint-Kilda Pier. Large soupir: aujourd'hui, ce n'est pas moi qui perdrai ma licence. Bon, on relève la tête, parce qu'on n'a pas le temps de s'appesantir plus sur la question. Mon fameux tube non contrôlé d'un nautique de large va se faire très fréquenté dans les minutes qui viennent, avec la Tour de Melbourne qui vient de boucler son périmètre. On vérifie le beacon et l'anticollision. On allume les feux de nav'. Le phare d'atterrissage aussi. Oui, je sais, ça use les ampoules, et elles valent cher. Mais tant pis, ma vie vaut plus.

A 11h, 400 ou 500 pieds plus haut, un 152 avec une route perpendiculaire à la mienne. Lui flirte vraiment avec le plancher de la CTR. Je ne sais pas s'il m'a vu. Je passe un message sur 135.7 en annonçant le "152, in sight". Un autre PA28 répond, pour me dire qu'il est dans mes 6 heures même altitude et qu'il maintient la séparation. "Roger, RXW". Un autre avion, plus bas dans mes deux heures s'annonce aussi. Joli bordel de la radio australienne où il y a des avions en auto-info, un contrôleur et ses avions sur la même fréquence.

La fin de la navigation vers Ballarat est un plaisir. Etonnement d'un vol au-dessus de ce qui commence à être le bush, avec ses champs immenses, où un 747 passerait un encadrement, et où des troupeaux de plusieurs milliers de bœufs ne doivent même pas lever a tête en nous entendant passer.

Petit pincement au cœur en suivant le compas et l'aiguille du VOR, qui aujourd'hui seront nos seuls repères au milieu de ces prairies à perte de vue.

Au retour, en vue de la city, je ferai trois 360° pour réfléchir, parce qu'après ¾ d'heures de navigation au compas et à la montre, au milieu de paysages où l'on trouve toujours tout et rien, parce que tout se ressemble, je ne suis pas certain d'être bien en face du portillon d'un nautique de large qui me permettra de repasser dans le tube.

Prière à Saint-GPS, aujourd'hui aux abonnés absents. Message radio à Melbourne Radar, parce qu'une fois de plus, il y a un 737 de Jetstar qui décolle d'Avalon en auto-info, et qui monte pour aller chercher sa clairance IFR dans les espaces contrôlés.

Mais on n'en est pas encore là. Pour l'instant, à Ballarat, on profite du café que nous offre le petit aéroclub local, à l'esprit bien différent des gigantesques industries du vol melbourniennes, où des instructeurs en cravate vendent de l'instruction.

Bientôt ça sera le retour pour 45 minutes de plaisir, et 10 toutes petites minutes de bordel.

Dans le tube.

A bientôt,

Pierrick

PS: Merci encore à Néné, mon passager du jour, qui a supporté de façon admirable l'ensemble des insultes que j'ai proféré ce jour-là à l'encontre du système d'espaces aériens australiens. Chapeau bas, l'ami!


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