mardi 1 mai 2007

Le pouce de César



Fin de semaine dernière. 17h00. Je suis dans un PA28-160, en courte finale à Coldstream, petit terrain privé au Nord-est de Melbourne. Une barrière de grands eucalyptus juste avant l'entrée de piste, donc un seuil décalé. Une colline en montée initiale de l'autre côté.

Avec ces arbres, j'ai voulu prendre un plan un peu plus fort, mais j'ai raté mon coup. Je veux remettre les gaz. Non, il parait que "it's not that bad", et je rends les commandes à l'instructrice pour qu'elle essaie de terminer. Elle a du courage, parce que ce n'est vraiment pas un cadeau que je lui laisse.

D'ailleurs, ça se vérifie. Je ne sais pas comment, on a du prendre une rafale ou quelque chose pour en arriver là, mais on vient d'imiter les kangourous du champ d'à côté. On a rebondi, et beaucoup trop haut à mon goût. Je ne réfléchis plus. Je pousse la manette des gaz jusqu'au tableau, et je fixe mon regard sur le badin.

"-Going around!"

Ce coup-ci, Molly me laisse faire. Ca non plus, ce n'est pas un cadeau. J'ai bloqué le manche, sans cabrer plus. Si je pousse, et que l'avion descend, on arrache le train. Si je tire plus, il va se casser la gueule. On avait le nez un peu à droite après le rebond, mais on est à pleine puissance, à basse vitesse, et je suis obligé de mettre du pied à droite pour que le souffle hélice ne le ramène pas trop à gauche. Je sens qu'il manque quelque. Je baisse les yeux, et je vois la main de Molly qui remonte le réchauffage carburateur. "Thank you". J'avais failli oublier. Pendant une demi seconde, le badin se fixe, et l'avion ne monte toujours pas. Saloperie. Surtout, ne pas passer au second régime. Je ne pense plus qu'à ça.

Il n'y a plus que deux solutions: si l'avion ne veut toujours pas monter, tant pis, on va réduire un peu, et le parachuter du mieux qu'on peut sur la longueur de piste restante. Ca vaudra toujours mieux que la colline d'en face. Si il monte, tant mieux. Mais il faut se décider vite, parce qu'avec seulement 600 mètres de piste dessous, ça défile à toute vitesse, et bientôt, on n'aura plus le choix. S'il faut se poser, de toute façon, on n'aura pas la place de redécoller.

J'ai les yeux rivés sur le badin. Pour la minute à venir, cette aiguille blanche, pour nous, c'est le pouce de César. Si elle grimpe, on s'en tire, si elle descend, on est mal. Ne pas toucher aux volets pour l'instant. Il a l'air de tenir. Je pousse le volant, imperceptiblement. Ca y est, il se met à accélérer, doucement d'abord, franchement ensuite.

En une fraction de seconde, les problèmes se téléportent droit devant. On commence à peine à rentrer les volets, cran par cran, et on est moins haut que ce qu'on devrait. Et la colline en plein dans nos 12 heures n'a pas bougé d'un millimètre. A l'œil, ça devrait passer. Mais voilà, ça fait dix secondes que je suis concentré sur autre chose, et je ne suis pas sûr de mon coup.

Evidemment, le mieux, ça serait d'afficher la vitesse de montée à pente maximum. Mais ça fait cinq secondes que je me bats pour prendre du badin, je viens à peine d'avoir un résultat, et là, ralentir, je ne veux plus. Tout ce que je sais, c'est que j'ai eu un mal de chien à grappiller ces quelques nœuds, et les rendre maintenant, même si on est bien, c'est hors de question, ça me fait presque peur. Alors, la colline, j'ai choisi de l'enrouler par la droite, pour rejoindre le vent traversier. Tant pis pour le tracé de la VAC.

Et on est repartis pour un tour. Je m'applique comme jamais, et je me souviens de ce que m'avait dit mon testeur lors de mon examen PPL: "Si tu essaies d'encadrer un champ, et que tu t'aperçois en finale qu'il y a une ligne électrique que tu n'avais pas vue, vise le haut des poteaux, tu passeras dessus."

Alors, en finale, je sors tous les volets, je prends le temps de fixer la vitesse à 70 nœuds, et je vise la cime des eucalyptus. Axe, plan, vitesse. On voit passer les arbres, quelques mètres dessous.

Maintenant, je vise le seuil décalé. Je suis stabilisé.

Dans très peu de temps, on va toucher, et il faudra repartir, afficher 134° sur le directionnel pour rejoindre le petit terrain de Leongatha, au sud. La fréquence du VOR de Philip Island est déjà prête pour le flanquement. J'ai déjà oublié la remise de gaz, et le pouce de César, ce badin qui ne voulait pas monter. Je m'applique pour garder l'axe, parce que la piste en terre et graviers ne fait que 10 mètres de large. Un boulevard pour un pilote de brousse, une complication pour moi.

Maintenant, je suis de nouveau en très courte finale. Dans quelques dixièmes de secondes, je vais tout réduire, et asseoir le PA28 sur les graviers de la piste.

A bientôt sur nos lignes.

See you,

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