mardi 29 mai 2007

Fini de jouer


Ca y est! Je le savais! Molly et moi, on n'a pas pu aller jusqu'à Leongatha. D'ailleurs, il va falloir que je vous laisse... Les TAFs de toute à l'heure passaient l'arrivée du front entre 18h30 et 19h00, mais ça bourgeonne là bas à l'horizon, et le front en question doit avoir un peu d'avance. Dieu que ça arrive vite! Ca noircit comme un buvard qui boit de l'encre.

Molly a voulu raccourcir la navigation en me déroutant directement sur Philip Island avant le retour. On y arrive presque, mais on n'a plus le temps de finir: avec cette météo, il faut revenir à Moorabbin.

Depuis que je bosse ici, dans la recherche, j'ai compris une chose: les mecs qui font des maths sont comme des mômes à qui on donne une devinette pour les occuper. Moi, comme beaucoup d'autres, au lycée, on n'a jamais vraiment travaillé: on était "bons" en maths parce que ça nous amusait. En quelque sorte, on a réussi par jeu.

Ici, tu arrives le matin, et on te file une pile de dossiers. On te parle de bateaux, d'algorithmes, de quais, de temps de chargement, d'heuristiques, d'estimations, de bobines d'aciers... Tu passes tout ça à la moulinette, et tu commences à réfléchir à la solution, parce que ces montagnes de papiers, ce n'est rien d'autre qu'une devinette de luxe.

Quand t'étais gosse, on t'interdisait le moindre semblant de calculatrice. Là, par contre, t'as droit à la grosse artillerie: solveurs mathématiques, bouquins, modèles informatiques, bases de données... Et on te paie pour ça. Moi, ça me gène presque: je n'ai pas la sensation de produire quelque chose, ou de rendre service à quelqu'un.

J'ai repris un cap sensiblement nord. Je n'ai pas pu rester stable à 2500 pieds, parce que des barbules commençaient à glisser au bout de mes ailes. On est au bord de l'océan, et on a encore largement de la marge pour descendre si besoin est, mais le plafond et la visi commencent quand même à se casser la gueule méchamment. Des gouttes viennent d'apparaitre sur le pare-brise. Que c'est sombre, là bas!

Au bout d'un moment, le jeu des devinettes doit finir par lasser. C'est exactement ce qui se passe en Maths sup pour certains. Ce n'est pas qu'ils soient plus cons que les autres. C'est juste que ce qui avait toujours été amusant devient plus délicat. Et aussi qu'on t'inonde la tête de ça. Alors, comme tu faisais ça pour le fun, pas pour un but précis, tu laisses glisser. Et tu t'ennuies. Et là, t'es fini.

Un coup d'œil aux paramètres moteur. Mixture Full Rich. Je rajuste 2500 tours/mn. Un coup de trim. Il fait humide comme jamais. J'ai branché le chauffage Pitot au cas où. J'anticipe chaque réduction de régime sous 1700 tours/mn avec un coup de réchauffage carburateur aussi.

Il y a à peine deux heures c'était tempête de ciel bleu.

Ca, c'est aussi une partie de ce que je trouve intéressant dans l'aviation: avec ces TCU qui fleurissent de partout, tu ne peux pas tricher. Il n'y a pas de petites étoiles dans les contrats, pas d'équations tordues. Pour une fois, tu n'as pas l'impression de perdre ton temps en TP douteux, en cours magistraux d'une utilité hypothétique. Tu voles, et tu dois faire ce qu'il faut pour arriver vivant au bout. Rien d'autre.

L'aéroport de Moorabbin a le statut de GAAP, ce qui veut dire qu'il fait partie des aéroports les plus fréquentés d'Australie par l'aviation générale. Aux heures de pointe, ils font tourner deux pistes parallèles simultanément, et, toutes les 30 secondes, un avion se pose sur chacune d'entre elles.

En haut, tout le monde va dans le même sens. Il n'y a pas de classement aux concours, pas de stratégie commerciale, rien qu'un objectif commun. S'il peut t'aider, celui qui vole 20 nautiques devant toi le fera, sans essayer de t'écraser pour des histoires de fric ou de parts de marché. Et si tu peux, tu aideras le mec qui est 20 nautiques derrière.

Et surtout, tu ne t'ennuies jamais.

Maintenant, il va falloir que je me démerde au milieu de tout ce bordel, parce qu'avec la météo qui commence à devenir vraiment dégueulasse, et la nuit aéronautique qui se pointe aussi, tout le monde se précipite vers les points d'entrée.

Pour nous, Carrum, 1500 pieds, dans 2 minutes. Si on peut aller plus vite, c'est bien. D'ailleurs, ça va bientôt devenir mission impossible d'en placer une sur la fréquence.

La pression monte un peu. Je me cale dans mon siège.

Fini de jouer.

See you,


PS: La photo a été prise par beau temps, de retour de l'aéroport d'Essendon, travers le CBD de Melbourne... Vous m'excuserez, je n'ai pas eu le temps de jouer au photographe sur le vol que j'ai raconté ici.

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